Société

Il a francisé son prénom mais on lui parle toujours de couscous, de désert et de cornes de gazelles dans chaque conversation.

L’affaire « Hapsatou-Corinne Sy – Zemmour » délie les langues. Un jeune français avait changé de prénom pour s’assimiler et s’intégrer, même s’il ne sait toujours pas ce que ça veut vraiment dire exactement, comme cela est le cas pour la plupart des citoyens de France. Mais cette modification à l’Etat civil n’a pas vraiment bouleversé son quotidien. Témoignages.

Gonzague est un jeune français de 28 ans, heureux en amour et au travail. Il travaille dans le marketing et fait partie des gens qui ont réussi, socialement parlant. Avant, il s’appelait Abdelnour, mais il a préféré se défaire de ce « lourd prénom », comme il le dit avec philosophie, pour s’intégrer et s’assimiler dans le moule « pur souche, avec du saucisson et du vin rouge au pique-nique », plaisante-t-il. « Je ne suis pas au Front National (Rassemblement National, ndlr), je tiens à le préciser. Mais l’autre jour, je leur ai téléphoné pour avoir une définition exacte de français de souche. Il faut dire qu’ils parlent de racines, de vrais français et d’immigration à chaque meeting. Il y a de vrais français et de faux français ?. Les médias et aussi sur les réseaux sociaux parlent aussi tellement d’intégration et d’assimilation. C’est à en perdre son latin. Les explications du FN (RN, ndlr) étaient confuses et ça partait dans tous les sens. La personne que j’ai eu au téléphone m’a parlé d’origines, de chrétienté, de gaulois, de Vercingétorix, de blonds aux yeux bleus, de saucisson-pinard et de migrants. Tout ça dans la même phrase. J’adore le saucisson et le vin, mais je ne vois pas le rapport. A vrai dire, je n’ai rien compris à leurs analyses. C’était d’un bordel leur raisonnement. Déjà que je ne comprenais pas avant, mais après le coup de fil, je pige encore moins. Pourtant, ils ont des bruns au FN. Vous y comprenez quelque chose, vous ? », demande Gonzague.

« Cornes de gazelles, terrorisme et religion »

Il est né et a grandi en France, mais pour beaucoup de ses proches, de ses collègues de travail ou de gens qu’il a l’occasion de rencontrer, Gonzague reste encastré dans le moule de ses origines. « Je ne sais pas pourquoi, dans chaque conversation que j’ai avec les gens, d’origine on va dire française, on me parle toujours de couscous, cornes de gazelles, barbe, terrorisme et religion. J’ai pas de barbe, moi. Un exemple, l’autre jour, on parlait de météo avec mon charcutier et il a réussi à placer le terme terroriste dans une discussion sur toutes les bonnes raisons de manger la couenne du jambon. Il m’a même demandé si j’étais fiché S. J’ai coupé court à la discussion, après avoir payé mes 4 tranches de jambon de Bayonne. Idem quand j’ai acheté un bon petit vin de Bordeaux. Le caviste a réussi à placer désert, tajine, loukoum, Aladin, chameau, haschich, méchoui, harissa et migrants dans la même phrase. Je signale qu’au départ, on parlait de grands crus. C’est ma tête ou quoi qui ramène ces sujets dans les discussions que j’ai avec les personnes que je rencontre tous les jours ? », interroge Gonzague, anciennement Abdelnour.


Même son de cloche de la part des autres citoyens d’origine étrangère qui ont francisé leur prénom. « Je connais des Mohammed, des Ousama, des Ali, des Amadou, des Tao, des Khadija, des Fatoumata et des Mei, qui ont pris des prénoms bien français. Mais au bout de 2 ou 3 minutes maximum, on leur parle toujours de merguez, de harissa, de mafé et de nems. Les réflexes sont durs à enlever. Mais attention, je n’en veux pas aux gens. Je sais qu’ils ne sont ni racistes, ni haineux, ni intolérants. C’est comme ça, il y a des clichés qui persistent », se désole Gonzague-Abdelnour.

« Entre 30 ou 40 générations »

Selon plusieurs experts en psychologie, les choses évoluent dans le bon sens. « Le fait d’intégrer des mots liés à l’origine de son interlocuteur entre dans le domaine du syndrome de la confusion-compulsive des idées fixes. Je rassure les personnes concernées, cela disparaît. Il faut compter entre 2 ou 3 générations, en général, mais uniquement pour les religions et pour les couleurs de peaux occidentales, sans vouloir créer d’amalgames émotionnellement stigmatisants. Ce fut le cas pour les immigrants italiens, portugais ou polonais qui étaient venu en France, il y a plusieurs décennies. Dans leur cas, les discussions comprenaient automatiquement et systématiquement les termes spaghettis, mafia, vendetta, morue lavée dans la cuvette des wc et bortsch (soupe polonaise, ndlr). Pour les arabes et les noirs, ça sera plus long, avec toute l’objectivité que mon quotient intellectuel et mes diplômes ont déduit. Il faudra compter entre 30 ou 40 générations, pour enlever les clichés liés aux origines. Scientifiquement parlant, cela est dû à un embouteillage des informations dans le thalamus. Les données neuronales, venant du lobe occipital, qui dirige les éléments vus, sont éparpillées, de manière aléatoire, dans les différentes zones du cerveau, comme le lobe frontal ou le lobe temporal. Cela provoque une confusion générale dans les idées et les pensées. Il faut dire qu’avec tout ce que balancent les chaînes télé à la figure des téléspectateurs, il y a de quoi perdre le nord. C’est tout à fait normal que les individus soient déboussolés. D’un point de vue psychanalytique, il n’y a pas de pathologies graves, hormis pour 33,94% des cas qui pourrait souffrir d’une légère névrose traumatique, d’une psychose hallucinatoire chronique bénigne et d’une schizophrénie ponctuelle dues aux images à profusion sur les arabes et les noirs dans les chaînes infos. Mais pour le reste de la population, il n’y a pas de peur psychiatrique à avoir. Ces personnes n’ont pas de crainte à avoir. En même temps, c’est un peu normal que des gens soient stressés et s’emmêlent les pinceaux. Vous avez vu combien de personnes diplômées, des chercheurs, des artistes, des salariés ou entrepreneurs, qui font partie des minorités visibles dans les reportages des chaînes infos ?. Les chaînes TV ne montrent que les trafiquants, les casseurs, les extrémistes religieux et les criminels. Des fois, ils montrent des VTC qui ont réussi, mais uniquement pendant les grèves qui provoquent des embouteillages monstres dans les villes. Là encore, problème égal minorité visible. Il y a de quoi créer une certaine confusion. Il n’y a vraiment pas de quoi s’inquiéter. Moi aussi, quand je parle à une personne d’Amérique latine, j’évoque forcément la cocaïne. Même chose quand je tape la discussion avec un américain, je lui parle forcément des armes à feu à profusion qu’il y a chez eux. Donc, parler de loukoums, de désert, de soleil, de magnifiques plages de sable fin, des appétissantes merguez épicées, de luth, de djembé, de danse du ventre et de coupé-décalé est à la fois normal et compréhensible », rassure un chercheur émérite.

« Ma France est belle et tolérante »

Ainsi, Abdelnour-Gonzague devra prendre son mal en patience. D’ici quelques générations, les gens avec qui il discute ne prononceront plus les mots couscous ou méchoui dans quasiment chacune de leurs phrases, de manière systémique. « En plus, je préfère la quiche lorraine au méchoui. La méchoui c’est délicieux, avec sa viande tendre à l’intérieur et croustillante à l’extérieur, mais je préfère la quiche lorraine. Attention, je ne dis pas que les français sont racistes, bien au contraire. Loin de moi cette idée nauséabonde. Idem pour la France, en tant que nation. Mon pays, que je chéris, ne fait pas la différence entre les gens, que cela soit à l’école, à l’hôpital, dans les administrations, dans la rue ou partout ailleurs. La France est belle et tolérante. Ma France est belle et tolérante. Mais pour la recherche d’emploi, j’ai reçu 4 fois plus de propositions d’entretien d’embauche, depuis que je m’appelle Gonzague. Ce qui est vraiment dommage. J’en ai un petit peu ras le tarbouche (ras la casquette, ndlr) de cette différence que certaines entreprises font. Pas toutes heureusement, je tiens à le dire. Dans le bâtiment ou les services de nettoyage, par exemple, ils sont hyper ouverts et accueillants. Mais ça agace, quand même un petit peu, de devoir changer de prénom pour être accepté. En plus, quand je vais en vacances dans le pays d’origine de mes parents, les gens, là-bas, me parlent de Tour Eiffel, de fromages qui sentent les pieds et d’aides sociales à profusion. Là-bas, aussi, ils ont une confusion-compulsive des idées fixes », remarque Abdelnour.

En France, tout citoyen français peut demander à changer son prénom et/ou son nom de famille s’il peut justifier de son intérêt légitime à demander ce changement. « J’ai donné les 32.157 refus que m’ont envoyés les recruteurs. De toute façon, quand vous donnez plus de 10.000 lettres de refus pour un poste, ils vous changent directement votre nom à l’état civil. J’ai un bac+9, mais rien. J’en ai déduis que cela devais être à cause de mon prénom. Je l’ai cherché un petit peu, je m’appelais Ousama-Seif al Daech (Ousama-Epée de Daech, ndlr) », confie Alexandre-Abu Rakka.

 

 

 

 

Crédit-photo : pxhere, cc0.

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