EconomieSociété

Emploi : licencié d’une start-up car il n’a jamais vu d’épisode de Game of Thrones.

Ce lundi matin, l’atmosphère au Conseil de Prud’hommes de Paris est agitée. L’affaire « Game of Thrones » concerne un litige entre une société internet et son employé, licencié pour n’avoir vu aucun épisode de la série Game of Thrones.

Signe des temps, les dirigeants de la start-up Reedoodoo, spécialisée en Marketing digital, rivés sur leurs smartphones répondent à peine aux questions du Président de séance, dans la grande salle d’audience du Conseil de Prud’hommes de Paris. Ils sont concentrés sur leur application qui suit en temps réel les taux de satisfactions de leurs comptes clients. Ce n’est que lorsque le juge Etienne Lambert frappe sèchement sur l’imposante table en noyer massif du 17ème siècle, à l’aide de son petit marteau, que les managers lèvent la tête en direction des membres du conseil prudhommale. Ils doivent répondre de leur décision d’avoir brutalement renvoyé Michel Gercier, chargé de promotion au sein de la société qui l’a congédié sans même un préavis.

Pendant le délibéré, Michel nous a accordé un bref entretien dans la salle des pas perdus. « Je ne comprend pas cette décision. J’ai toujours très bien bossé. Ils ont dit au conseil prudhommale que c’est parce que je n’ai jamais regardé cette série dont tout le monde parle tant. Game of Drone (ndlr : Game of Thrones) ou un truc comme ça. C’est la 7ème saison ou la 8ème qui passe en ce moment, j’ai vu ça dans une affiche dans le métro l’autre jour. Vous savez moi les séries. Je me suis arrêté à la série Friends, c’est dire. Ils en parlaient tout le temps au travail et moi, je l’avoue, je n’ai jamais participé à leurs discussions sur la série. Ça n’avait jamais gêné personne pendant les 6 premières années. Mais cette année, quand j’ai voulu m’intéresser à la chose et avoir cet esprit Silicon Valley qui me manquait pour mon augmentation, c’est-à-dire avoir l’air espiègle, immature, insupportable, frétillant, sadique, sournois et candide à la fois, j’ai dit la chose à ne surtout pas dire. Et que mon cas serve d’exemple, je le dis aux personnes qui se reconnaitront en moi. Donc, pendant la pause-café de 9h, quand Jeremy, de la branche e-commerce à parlé d’une scène de l’épisode de la veille, j’ai demandé qui était John Snow. Dès lors, j’ai vu les mines déconfites de mes collègues. Sur le moment, je n’ai pas capté. Mais c’est pendant la pause-café de 9h30 que j’ai senti ce sentiment mêlant pitié, embarras, dégout et mépris dans leurs regards. J’ai tant sacrifié pour cette boîte. Après le nombre d’heures sup non rémunérées. Après toutes les nuits blanches à bosser au bureau. Après les accouchements de mes deux enfants que j’ai loupé quand ils sont venus au monde, j’étais en train de bosser sur des missions urgentes. Je ne suis parti les voir que le lendemain à la clinique. Après tous les anniversaires manqués. Après les vacances annulées. Après les enterrements ratés, dont ceux de mes parents et grands-parents. On bosse ici à l’américaine, qu’ils me disaient. Les ordures. J’ai tout accepté d’eux. Même de jouer au ping-pong. Je hais le ping-pong », enrage Michel. Il continue à nous narrer son histoire, tout en consultant les offres d’emploi sur le site de Pôle Emploi.

Après dix années passées dans cette entreprise, lui le premier employé de la société ne comprend pas ce qui est, selon lui, une abyssale injustice. « J’ai même accepté de venir travailler à Saclay, dans l’Essonne, alors que notre bâtiment était en cours de construction. Il n’y avait rien, à l’époque, dans la French Silicon Valley. J’ai travaillé dans une roulotte en attendant d’emménager dans les locaux. Regardez la photo » – il nous la montre – « Ça a duré 14 mois quand même, sans clim et sans chauffage. Jusqu’à mon licenciement brutal. », nous raconte ce senior de 31 ans, à la fois ému et dépité.


Crédit photo : Kaz, cc0 1.0.

Michel retourne dans la salle pour entendre la décision du comité. Un hurlement résonne au moment du verdict. Celui de Michel. Il est renvoyé. Sans indemnités. Les juges lui ont donné tort.

Énoncé du verdict par le juge :

« Ibi deficit orbis. Attendu que le demandeur travaille dans un domaine, l’internet, composé essentiellement de jeunes. Attendu le demandeur doit vivre avec les us et coutumes du secteur et de son époque. La télévision, les séries télé et web faisant parties de cet univers. Le fait de ne pas connaître une série connue, comme la série Game of Thrones, ses personnages ou son synopsis d’au moins une saison est considéré comme une faute grave. Par ces motifs, le Conseil de Prud’hommes de Paris, après en avoir délibéré, Ad Gloriam, conformément à la loi, statuant par mesure d’administration judiciaire, valide, in vacuo, le licenciement sans indemnités du demandeur et ordonne son inscription d’office à Pôle Emploi. Pax vobiscum. Graviora manent. ».

Ibi deficit orbis : Ici finit le monde – Ad Gloriam : Pour la gloire – In vacuo : Dans le vide – Pax vobiscum : Que la paix soit avec vous – Graviora manent : Le pire est à venir.

Les avocats de la défense, euphoriques, tweetent immédiatement la nouvelle qui va dans le sens de leurs clients. L’un des trois avocats de la start-up, Maximilien Conté-Lamure, nous fait part de ses impressions. « Les grands cris de joie, c’est juste pour Twitter, Insta, Facebook et Periscope. C’est pour le buzz. Nous sommes un cabinet d’avocat nouvelle génération. Nous savions que nous allions gagner. On est quand même dans le tribunal qui a considéré que traiter un coiffeur de pédé n’était pas homophobe. Cela nous laissait de la marge. En jargon judiciaire, on dit que c’est open-bar d’audience. Sky is the limit. C’est pas pour rien que le taux de conciliation entre salariés et employeurs n’est que de 0.62% (rires) », nous dit le tenace avocat de la start-up. Les dirigeant de la start-up n’ont pas voulu s’exprimer.

Mais Michel, le nouveau chômeur, préfère voir le bon côté des choses. il est heureux d’en avoir le cœur net. Normalement, une telle procédure demande 26 mois d’attente. Mais suite à une erreur d’un stagiaire, qui a fait un mauvais rangement dans le bureau administratif chargé des procédures, son dossier n’a demandé que 15 jours de traitement. Nous quittons Michel, qui se dirige d’un pas déterminé vers la photocopie du tribunal de prud’hommes pour tirer plusieurs exemplaires de son CV dans le cadre de sa recherche d’emploi. En s’éloignant de nous, il nous lance « Pour mon prochain poste, juste une question, c’est quoi la série qui cartonne en ce moment ? ». Une belle preuve de courage et de sérénité.

Crédit photo couverture principale : ActuaLitté, cc by-sa 2.0.

Erreur : Formulaire de contact non trouvé !

Nous savions que nous allions l’emporter. N’oubliez pas que ce tribunal de Prud-hommes de Paris a quand statué en défaveur du coiffeur qui s’est fait traité de tarlouze en avril 2016. »

Partager.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

lejournalnews.com