Manifestations : des étudiants, confondant la Sorbonne et le musée du Louvre, ont tagué la Joconde et bien d’autres œuvres d’art inestimables.
Connaître ses classiques en termes de manifestations, c’est bien. Mais faire la différence entre une université et un musée, c’est mieux. Des étudiants en colère viennent de le découvrir, hier jeudi, à Paris.
Dans les principales grandes villes de France, les étudiants ont pris pour habitude d’investir les universités et de montrer leur présence en bloquant les établissements. La tradition estudiantine veut que les tables, les chaises, les murs et tout ce qui peut l’être, soient tagués, professeurs compris. « Ça pique les yeux, mais c’est pas grave. A la rigueur, c’est normal. Il faut bien que jeunesse se passe après tout. Et puis, mieux vaut un peu de peinture sur la figure qu’un gros pavé dans la tronche », précise avec philosophie un professeur de droit dans une prestigieuse université parisienne.
En mai 68, il y avait les célèbres pavés, en mai 2018, il y a les tags. Souvent laids mais cependant, en de rares fois, intellectuellement profonds, les tags provoquent l’ire des autorités. Certains étudiants ont pris la fâcheuse manie de dessiner partout, tels des enfants de maternelle, de petite section uniquement.
Le légendaire musée du Louvre, situé dans le 1er arrondissement de Paris, en a fait l’amère expérience. « Ces petits connards ne pouvaient pas confondre la Sorbonne avec le ministère de l’Enseignement ?. Comme d’habitude, à chaque fois qu’il y a la merde, c’est la culture qui est visée en premier. Y’en a marre, bordel de merde ! », vocifère un haut fonctionnaire du ministère de la Culture, tout en essayant de retirer la peinture d’une amphore de l’antiquité romaine, datant du Vème siècle avant JC.
« On leur a tagué les cheveux »
A Paris, des étudiants ont donc confondu la très renommée Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et le mythique musée du Louvre. « On n’a pas fait histoire de l’art, donc qu’on ne vienne pas nous critiquer. On voit un vieux bâtiment, comme ceux dans la série Versailles, donc on rentre et on tague. On ne discute pas, on ne parlemente pas, c’est comme ça. Il y a ce tableau de la bonne femme que j’ai tagué aussi. Oui, vous savez, la nana qui vous regarde bizarrement. Tu ne sais pas si elle est en détresse ou si elle réfléchit. Quoi ? oui, la Joconde. Au début, j’ai cru que c’était la rectrice de la Sorbonne, donc j’ai tagué. C’est vrai que je me suis demandé pourquoi ils l’ont dessiné et pas prise en photo. Mais les intellos sont bizarres des fois. Moi, je suis dans une université pauvre. On n’a pas de belles décorations dans notre fac. On m’avait dit qu’on allait à la Sorbonne, que là-bas c’est chic, qu’il y a de la dentelle partout, des dorures et que les profs s’habillent comme Louis XIV. J’ai regardé les photos dans Google et on s’est juste planté de chemin. A vrai dire, on a dragué de belles touristes suédoises. Des bombasses, je ne te raconte même pas, avec des nichons énormes. Je n’ai pas besoin de préciser qu’elles étaient blondes. Oui, elles étaient. Quand elles ont refusé nos gentilles avances sexuelles, on leur a tagué les cheveux, mais sans violence, cordialement on va dire. De fil en aiguille, on s’est retrouvé devant le Louvre. Là, direct, nos réflexes d’étudiants en colère se sont réveillés. On est entré et on a tout tagué, sans réfléchir. C’est l’un de nos profs, qui était là pour visiter le musée, qui nous a dit qu’on n’était pas au bon endroit. Nous sommes tous ressortis directement. Désolé si ça cause du tort à quelqu’un cette petite erreur de notre part », confie un étudiant.
« Matériel de tags de très faible qualité »
Les œuvres d’art taguées sont en cours de restauration, selon la direction du musée du Louvre. « Heureusement, comme ces étudiants ont de très faibles budgets, merci à la baisse des APL pour les étudiants, entre parenthèses, ils avaient en leur possession du matériel de tags de très faible qualité. La peinture, n’étant pas du tout résistante, s’enlève à l’Ajax vitres sans problèmes. Tout sera rentré dans l’ordre vendredi », indique la direction du Musée du Louvre.
« Des réflexes neurologiques plus forts que la logique »
Cependant, les étudiants ont soigneusement et prudemment évité l’immense espace réservé aux collections du département des Arts de l’Islam. « On s’est retrouvé devant la grande salle de l’expo des Arts de l’Islam. Là, aucun d’entre nous n’a songé, ne serait-ce qu’une micro-seconde, à y mettre un pied. Même pas un orteil. On saccage rien là-bas, on tient à nos vies. Pour la première fois depuis le début des manifs, nous avons eu peur. Vraiment très peur. Certains d’entre nous ont même pleuré et ont fui en criant ‘papa !’. Ils ont crû qu’ils allaient être zigouillés par Daech. Oui, je sais. Il ne faut pas faire d’amalgames nauséabonds et infondés. Mais il y a des réflexes neurologiques plus forts que la logique, dès qu’un sujet pareil est mis sur la table. Et puis, on ne voulait pas se retrouver nez à nez avec un djihadiste venu démolir les statues, comme ils l’avaient fait en Afghanistan pour les Bouddhas de Bâmiyân. En plus, avec, malheureusement, tout ce qui se passe en France, en Europe, en Syrie et en Afghanistan, on évite tout ce qui est en rapport avec ce sujet. Le plus téméraire d’entre nous, Xavier, y est entré. Il aime tout tester. C’est dans son tempérament, surtout si c’est très dangereux. Nos professeurs ne l’appellent pas le taré pour rien. Après être ressorti de la grande salle, sain et sauf, il a dit qu’il y avait des œuvres magnifiques. Mais il n’a touché à rien. Lui si tactile d’habitude, il n’a rien tagué. Donc on a rebroussé chemin direct et on est sorti du Musée du Louvre tout de suite après dehors. Quitte à choisir. On a préféré se ramasser des lacrymos dans les pupilles et des coups de matraque dans les côtes », précise un étudiant.
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