Les Ehpad enverront tous leurs retraités aller papoter dans les ministères pour faire fléchir le gouvernement.
Alors qu’ils étaient trop occupés à changer, de manière prévenante et cyclique, les couches incontinence et les sondes urinaires, tout en réalisant mille et une autre tâches, fastidieuses mais nécessaires pour le bien-être des retraités, les Ehpad ont, semble-t-il, trouvé la parade pour forcer le gouvernement à accepter leurs exigences, à la fois légitimes et rationnelles.
Tous les ministères et les établissements publics, d’ordinaire si paisibles, sont sens dessus dessous face au déferlement de personnes âgées qui s’annonce en milieu de semaine prochaine. « Paisibles, paisibles, comme vous y allez fort !. Dans les administrations, c’était calme, mais avant. Avant quoi ?. Avant cette putain de tornade de ces connards de Gilets jaunes. Vous avez bien noté les mots putain et connards, j’espère ?. Cela doit figurer sans votre putain d’article, c’est essentiel pour bien comprendre mes putains de propos. Depuis plusieurs longues semaines, on n’a même plus le temps de manger dans les restaurants gastronomiques. Pose pas de questions sur notre putain de bouffe gastronomique. On va pas becter de la bouillie. J’aurais pu gagner plus dans le privé, mais je ne regrette pas de travailler dans le public. C’est une vocation depuis mon premier entretien d’embauche foiré dans une multinationale », se désole un haut fonctionnaire, qui profite de cette période de quasi-insurrection pour débuter un régime hypocalorique. Mais depuis hier, ce n’est pourtant pas un énième acte de la série de manifestations de Gilets jaunes qui rend nerveux nos courageux et flegmatiques fonctionnaires. Ce n’est pas non plus le risque d’être rémunérés au rendement. « Rendement, mon cul !. Pourquoi pas travailler 5 ou 10 minutes après les horaires, pendant que vous y êtes. On croit rêver », se demande un syndicaliste. La cause de leur tracas est tout autre. Nos braves et dévoués salariés du secteur public sont affolés par les files d’attente qui se créent de manière continue, un peu plus à chaque heure qui passe, devant leurs bâtiments, pendant les périodes d’ouverture. « Les gens viennent, ils demandent à monter dans les étages, ils commencent à râler et tapotent par terre avec leurs canes, leurs déambulateurs 4 roues et autres béquilles, uniquement pendant nos horaires d’ouverture. Aujourd’hui (vendredi), ça va, on les a bloqués aimablement à l’entrée, mais nous ne tiendrons pas longtemps. La semaine prochaine, ils seront bien plus nombreux. Je n’exagère pas. Ce sont eux-mêmes qui nous l’ont dit. Ils m’ont dit qu’ils voulaient parler aux fonctionnaires, mais je ne sais pas de quoi au juste. J’ai énormément de respect pour les anciens, mais ceux-là, ils me foutent les chocottes avec leurs regards trop innocents. Ils cachent quelque chose », prévient un agent de sécurité, du haut de ses 2 mètres 10.
« L’aller-retour Ehpad-ministère des Finances en 10 mn chrono »
« J’en ai compté 50 en arrivant. Et là, il y en a moins que tout à l’heure, mais ça augmente d’heure en heure. Heureusement qu’on est vendredi et que c’est bientôt le week-end. Beaucoup de personnes âgées sont retournées dans leur Ehpad pour prendre leurs médicaments. Mais les gentils petits vieux reviendront très vite. Il faut dire que les ancêtres savent utiliser les applications de VTC, maintenant. C’était encore inimaginable il y a 2 ou 3 ans. Là, les vieux sont connectés à internet. Ils ne sont plus aussi poussiéreux qu’avant. Ils gueulent aussi plus fort qu’avant, j’ai remarqué. Je pense que la hausse de la CSG sur les retraites les a boostés et énervés à la fois. Ils font l’aller-retour Ehpad-ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse en 10 mn chrono. Les petits vieux et les petites vieilles sont gentils, mais au bout de 3 heures à entendre leurs interminables discussions, aussi sympathiques soient ces conversations sur la météo, le temps qui passe, la nostalgie des jours anciens, forcément, j’ai pleuré. J’ai même suffoqué et j’ai blêmi, juste après. J’ai craqué. Je me suis mise à chialer comme ma tante Madeleine, d’un seul coup, nerveusement. Le pire, c’est que l’après-midi, les vioques m’ont apporté du chocolat pour sécher mes larmes et me réconforter. Mais je ne leur ai pas dit que c’est à cause d’eux que j’ai sangloté. Et rebelote, l’après-midi, encore 3 heures d’éternels et fastidieux monologues de leur part. Et de mon temps ceci, et faut que jeunesse se passe par-ci, et pourquoi tu n’es pas mariée à ton âge malgré ma beauté par-là. Ça n’a pas arrêté. Par courtoisie, je hochais de la tête, mais en fait, je n’écoutais rien de ce qu’ils disaient. Dans leurs discussions à sens unique, il n’y avait aucune revendication. C’est ce que je n’arrivais pas à comprendre. C’est après que j’ai su que les Ehpad les avaient envoyés juste pour faire craquer le gouvernement. Comme d’hab, on trinque pour Matignon et l’Elysée. Ils leur avaient dit ‘Allez voir les fonctionnaires. Allez leur parler, ça leur fera plaisir. Ils sont très gentils et très à l’écoute en plus’. Comme nous, les petits vieux se sont fait piéger. Sauf que nous, les fonctionnaires, ça nous énerve, mais les petits vieux adorent, par contre. Ça les change de leur télé ou de leur parc privatif où tout tourne au ralenti », prévient une fonctionnaire du ministère, tout en essayant de recoller frénétiquement ses ongles rongés par le stress.
« Le message circule très vite d’Ehpad en Ehpad »
Mais ce n’est apparemment que le début de cette manifestation psychologiquement très éprouvante pour les nerfs de nos serviables fonctionnaires. Les centaines de retraités qui se sont agglutinés devant les ministères et les établissements publics, c’est peanuts. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg dialogal. « Il y en aura bien plus quand toutes les directions des Ehpad donneront leur feu vert. Là, dans les Ehpad, ils s’organisent pour envoyer le reste de leur pacifique contingent de manière efficiente. Causer un maximum de stress avec peu de ressources humaines. C’est la stratégie d’une équipe de football, avec des personnes sur le terrain et d’autres sur le banc de touche. Ils retiennent quand même 98% des autres vioques. Aujourd’hui, vendredi, ce n’est qu’un échantillon, mais les dégâts émotionnels ont été énormes. Un vrai carnage psychologique. Le pire est à venir, selon mon estimation. Apparemment, ils sont tous au courant qu’ils vont taper la discussion dehors, ça les émoustille les anciens. Normal, les pensionnaires vont voir de nouvelles têtes. Le message circule très vite d’Ehpad en Ehpad, aussi rapidement qu’un tweet du généreux boule (fessier, ndlr) de Kim Kardashian, si vous voyez ce que je veux dire (regard malicieux). Les vioques n’ont pas tous internet, mais ils font des miracles avec le téléphone. Vous savez ?, le téléphone avec le cadran qui tourne. Le truc old-school où il faut mettre le doigt et le faire tourner pour faire les numéros de téléphone. Les personnes âgées, je les appelle vioques, mais sans condescendance. Je les respecte les petits vieux, car je sais que je serai vieux aussi d’ici 50 ou 60 ans », analyse avec philosophie un jeune infirmier.
« On les aura à l’usure »
Du fait du manque flagrant de moyens et de cadences infernales, ayant des impacts négatifs sur les qualités de soins des retraités, les Ehpad français sont au bord de l’implosion. « Implosion mon cul !. On ne va pas imploser. On tiendra bon pour notre santé à nous les salariés des Ehpad, mais aussi pour nos pensionnaires. On ne bousillera pas nos nerfs à cause de ce gouvernement qui n’écoute que les fonctionnaires qui ont les clés des commissariats. On respecte nos vaillants policiers, mais nous aussi, nous avons le droit d’être écoutés. Nos conditions de travail sont intolérables. La baisse des budgets des Ehpad se répercute malheureusement sur le bien-être de nos pensionnaires. On veut être entendus comme le sont les policiers et les militaires. On veut surtout être reconnus comme le sont les élus parlementaires quand ils se votent à eux-mêmes une augmentation de salaire. On n’a pas les clés des cellules de dégrisement, mais nous avons les clés des Ehpad, avec leurs petits vieux qui peuvent parler de la météo, de la politique, de questions de culture générale, de voyages ou de leur jeunesse, pendant des heures et des heures, entre deux pauses vide-prostate. Il faut savoir qu’un petit vieux ou une petite vieille parle 10 fois plus qu’un poivrot. Même quand on leur change leurs couches, ils continuent de blablater. Donc, on enverra toutes nos personnes âgées dans chacun des établissements publics que compte notre noble pays. On mettra l’accent sur Paris. Les cars de province seront sur la capitale à partir de mercredi, remplis de pépés et de mémés, tous aussi bavards les uns que les autres. Ils ont intérêt à avoir de la patience nos braves fonctionnaires de l’Elysée, Matignon, des ministères, des secrétariats d’État, des conseils régionaux, des mairies, des offices, des chambres professionnelles, des régies publiques, des sociétés nationales, des agences nationales, des instituts publics, des écoles nationales, en particulier l’ENA et Sciences Po. Bref, tous les établissements publics de France métropolitaine et des DOM-TOM accueilleront, de gré ou de force, des petits vieux qui bavarderont avec les fonctionnaires. En fait, il n’y a même pas besoin de bavarder, les personnes âgées parleront toutes seules, mais devant chaque fonctionnaire, sans exception, ministres et secrétaires d’Etat compris. C’est connu, une personne âgée, elle voit une oreille, elle se met à bavasser. L’Elysée, Matignon et tous les ministères seront nos priorités. Pour les écoles nationales, on mettra le paquet sur l’ENA et Sciences Po. Ils recevront la visite de 10 fois plus de retraités. Nos pensionnaires, en particulier les gâteux, seront chargés de parler aux étudiants, en priorité. Comme ça, les gosses de la haute iront chialer auprès de leurs parents que c’est intenable et ces mêmes parents téléphoneront illico à Matignon ou à je ne sais à quel autre ministère pour leur dire de nous accorder davantage de budgets et de moyens humains. Nos gentils et vulnérables petits vieux entreront comme dans du beurre dans les administrations. Tu peux balancer de la lacrymos sur des Gilets jaunes, mais jamais tu ne pourras le faire à un petit vieux et encore moins à une petite vieille. Les CRS vont automatiquement se remémorer le souvenir du papy ou de la mamie qui apporte le goûter, quand ils étaient enfants. Les CRS ne le feraient jamais. Les cadors du gouvernement, on les aura à l’usure, les enfoirés ! », prévoit le directeur d’un Ehpad, tout en comptant son stock de dentiers de secours.
« Obligatoirement accorder aux Ehpad tout ce qu’ils demandent »
« Purée !. Empêchez ces petits vieux, gentils au demeurant, de me reparler. Ils sont attendrissants mais également très chiants à bavasser tout le temps, de tout et de rien, et surtout de rien, sans leur manquer de respect. En temps normal, peut-être que j’apprécierais de les écouter, mais là, j’ai mes révisions pour les prochains examens. Même si, avec eux, j’apprends des trucs sur l’histoire et plein d’autres choses, j’en peux plus. Les Ehpad n’ont pas de casseurs qui se fondent dans les manifestations, comme cela est le cas pour les manifs de Gilets jaunes, mais les petits vieux me cassent les oreilles. Si ça continue, je vais m’inscrire à la fac pour la rentrée de janvier. Le gouvernement doit obligatoirement accorder aux Ehpad tout ce qu’ils demandent. Par humanité d’abord, mais surtout pour me laisser réviser à la bibliothèque tranquillement. Après les vacances, il ne doit plus y avoir un seul petit vieux dans l’enceinte de l’ENA. Pitié ! », quémande un étudiant de la prestigieuse ENA, tout en portant aimablement le sac de courses d’une dame âgée qui lui fait la liste de tous ses problèmes de santé.
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