Gilets jaunes : Vinci Autoroutes ne crèvera finalement pas les pneus des voitures qui ont passé les péages gratuitement.
Le puissant acteur routier, né durant la prohibition américaine de la fusion entre un respecté clan sicilien et un influent groupement de la mafia new-yorkaise, a décidé, pour la première fois de son histoire, de faire un cadeau aux automobilistes qui ont passé les péages gratuitement, sans se ruiner, durant les manifestations des téméraires et infatigables Gilets jaunes.
19.12.2018, 02h09, mis à jour à 02h15.
La notion de péage a été créée durant la prohibition américaine. Tous les camions et autres véhicules des vendeurs d’alcool de contrebande devaient donner un « passe-droit » pour pouvoir circuler librement sur les routes US, afin d’écouler les produits issus de leurs distilleries clandestines.
« A l’époque, il n’y avait pas encore d’autoroutes. Mais en 1919, quand la prohibition a été mise en place, le réseau des routes américain était déjà développé. Avec le libéralisme qui est caractéristique des USA, des clans ont érigé leurs propres péages. Les groupes qui géraient les réseaux français, à savoir Vinci Autoroutes, APRR et Sanef, avaient commencé leurs activités de péages. Malgré la fin de la prohibition, en 1933, les péages sont restés. Avec le temps, ces groupes ont créé des filiales en France et ont implanté les tant détestés péages que les automobilistes haïssent autant qu’une hausse du carburant, c’est dire », explique Berliet Delage, un éminent historien, docteur ès-transport, dont le dernier best-seller de 367 pages, intitulé « Histoire des routes : de la Rome antique à nos jours » est en vente au ministère français des transports et dans toutes les bonnes librairies des meilleures aires de service du pays.
« Je ne vais pas y aller par quatre chemins »
Vinci, qui gère une partie du réseau autoroutier français, provoque chaque année, à l’instar de ses concurrents APRR et Sanef, des millions de kilomètres de bouchons en raison de ses péages qui ralentissent les automobilistes, bien qu’ils permettent d’entretenir les onéreuses, mais utiles, autoroutes du pays. « Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Il faut être honnête, nos actionnaires se gavent bien comme il faut. Je peux t’assurer que nos actionnaires ne roulent ni en Renault ni en Peugeot (rire sarcastique). Tout l’argent ne passe pas dans l’entretien ou dans les 2 ou 3 coups de peinture que nous passons de temps en temps. D’ailleurs, par esprit de conscience, nous avions demandé au gouvernement français de réfléchir avant de privatiser le réseau autoroutier une bonne fois pour toute. Ceci après avoir eu le marché de concession. On ne désirait pas barrer la route à l’augmentation du PIB. C’est incroyable de privatiser un truc si rentable?. Cela avait commencé en 2001, puis cela a continué en 2005. Pour privatiser une machine à cash pareille, il faut être soit dingue, soit complètement taré, ou bien les deux en même temps. Au début, on s’était demandé si on ne faisait pas fausse route en acceptant le marché, mais non, il n’y avait pas de pièges, bien au contraire. C’est mega giga tera rentable les autoroutes. Toutes les routes mènent à Rome, mais toutes les autoroutes mènent à la fortune. Mais le gouvernement avait quand même privatisé le réseau. Nous sommes des financiers, d’accord, mais nous avons une conscience », assure un cadre financier du groupe.
« Macron démission !. Mitterrand président ! »
Durant plusieurs manifestations de mécontentement vis-à-vis de la politique du gouvernement, jugée trop libérale, les Gilets jaunes ont instauré des journées « péages gratuits ». Ainsi, des millions de véhicules ont circulé dans les autoroutes de France sans débourser le moindre euro. « Le gouvernement actuel n’y est pour rien dans le prix des péages et alors ?. J’m’en fous !. Je bloque quand même. Rien à foutre. M’embobine pas avec tes questions sur la politique ou les finances publiques, j’y piges rien de toute façon. Moi, je veux plus donner d’argent à qui que ce soit. Je veux tous les services publics, mais en donnant le moins de pognon possible, point barre. Macron démission !. Mitterrand président ! », conseille un Gilet jaune.
« A cette allure, je vais faire mon trajet en 3h30 au lieu des 3h20 habituelles. Je dis à chaque fois que les péages ralentissent, mais on m’écoute jamais. Vous voyez que j’avais raison ! », me hurle un sympathique automobiliste, au travers de la vitre de sa voiture, tout en passant à un péage à 100 km/h environ.
« Retrouver ces connards d’automobilistes un par un »
Face au manque à gagner de la journée open-péage des Gilets jaunes, la colère du groupe Vinci a été à la mesure de la joie ressentie par les automobilistes qui ont circulé à l’œil, le temps d’une journée. « Bande d’enculés !. Ils vont nous le payer. De toute façon, on a le fichier des cartes grises, on va retrouver ces connards d’automobilistes un par un et ils vont passer à la caisse ces raclures. Et faire passer à la caisse est plus qu’un travail ou un objectif professionnel pour nous, c’est une mission, et même un sacerdoce », avait, dans un premier temps, indiqué Vinci Autoroutes, par l’intermédiaire de l’un de ses agents de péage, enfermé à triples tours dans sa cabine selon le contrat de travail des sociétés concessionnaires d’autoroutes françaises, de peur qu’il ne parte avec la caisse.
« Sacré nom d’une départementale »
Mais revirement de situation, logique selon le gouvernement, mais irrévérencieux selon les actionnaires de Vinci, le groupe a finalement décidé de « ne plus faire passer à la caisse » les contrevenants d’un jour. Vinci Autoroutes n’enverra finalement pas de factures aux automobilistes qui ont passé les péages sans payer. « Les gens doivent comprendre notre réaction initiale, quasi-instinctive, de vouloir envoyer une facture à tous les fraudeurs. Faire sortir le fric du trou de balle des automobilistes, c’est un réflexe pour nous, c’est inné, financièrement parlant. Cela fait partie de la culture d’entreprise que nous inculquons à nos employés, dès la formation. Nous sommes désolés, sincèrement, d’avoir menacé notre clientèle de lui envoyer une facture. On ne crèvera pas non plus les pneus des voitures, camions, cars et motos qui ont fraudé le jour des manifestations de ces enculés de Gilets jaunes. Pour les pneus qui resteront intacts, c’est un geste commercial. En même temps, il faut nous comprendre. Là, nous allons tourner la page et repartir avec le compteur à zéro sur des bases saines, mais uniquement pour cette fois. Que l’on ne nous oblige pas à le répéter, sacré nom d’une départementale. Là, les chefs qui sont en Sicile et à New-York ont accepté qu’il n’y ait pas de représailles, mais on ne garantira pas qu’il n’y aura pas de factures d’envoyées ou de pneus crevés les prochaines fois que ces casse-bougies de Gilets jaunes se mettent à offrir ce qu’on vend d’habitude. Les prochaines fois, si des crétins en gilets fluos à la con ouvrent bien grandes nos barrières de péage, les conducteurs devront dire ‘non merci’. Les conducteurs attendront bien sagement et tranquillement, sur le bas-côté de l’autoroute que le camion de la Brinks arrive. Ils n’auront ensuite qu’à payer rubis sur l’ongle leur putain de ticket de péage, directement au camion de transfert de fonds », explique avec minutie et calme le responsable déontologie de Vinci Autoroutes, tout en consultant successivement mes analyses d’urine issues d’un fichier d’un laboratoire médicale, le fichier des cartes grises du ministère des Transports, un fichier confidentiel du ministère de l’Intérieur et un dossier Secret défense du ministère des Armées.
« Vinci, chapeau bas ! »
APRR et Sanef, les concurrents de Vinci, sont à la fois ébahis et déçus. « Oh merde, ils ne crèveront pas de pneus ?. Zut alors !. Ils font vraiment chier. Pour une fois qu’on l’aimait le concurrent Vinci. Ça allait faire jurisprudence dans le secteur des péages, en plus. Donc, on ne pourra pas crever de pneus nous non plus ?. Dommage. Mais pour les factures à postériori, Vinci, chapeau bas !. Ils en ont une sacrée paire de plaquettes entre les roues pour menacer les automobilistes et camionneurs de leur faire payer le fait qu’ils aient resquillé un jour de péage gratuit. Là, on reconnaît qu’ils sont très forts », admet un chargé de mission de la société APRR.
« On sera obligés de faire comme Vinci pour passer de la 3ème à la 1ère place du classement des sociétés de péages », reconnaît un peintre en signalétique routière de Sanef.
« Ces journées gratos doivent cesser »
Les automobilistes sont soulagés par la décision de Vinci Autoroutes de ne pas envoyer d’huissiers de justice chez eux. « De toute façon, je ne pouvais pas payer leur putain de facture, même si Vinci me l’avait envoyé. Le lendemain de la journée des péages gratuits, je suis passé à un péage à 110 km/h sans m’arrêter. Comme un con, j’ai cru que c’était journée gratuite ce jour-là aussi. Résultat, j’ai le pare-brise de ma bagnole à remplacer, en plus de tout le toit de ma caisse. Tu parles d’un cadeau cette journée gratuite des péages de mes deux. Ils font vraiment chier les aimables Gilets jaunes à nous faire prendre de mauvaises habitudes avec leur tout gratos. Ces journées gratos doivent cesser », prévient un automobiliste furieux, son gilet jaune dans une main et le devis hors de prix d’un garagiste pour les réparations de sa voiture.
Crédit-photo : pxhere, cc0.